Une journée au « Parc à Vélos »

Lundi 14 juillet – Cauterets (Hautes Pyrénées, France).

Un VTTiste qui revendique un passé de 13 années de roulage sur de nombreux chemins pas toujours très montagneux, peut sans hésiter être qualifié de crosseux des plaines. Et ce même si au détour d’une vitrine, d’une rencontre ou d’un article, il se laisse convaincre que les disques valent bien des v-brake, qu’une suspat’ supprime les maux de dos et qu’une grosse fourche permet de franchir sans broncher les quelques racines de saules qui barrent obstinément le chemin communal …

Pourtant, parfois, ce genre de cycliste se dit que son vélo mérite mieux qu’un chemin de grave entre les vignes, et que l’air de rien, une journées en altitude doit être bonne pour la santé. Le voici donc avec quelques compères au pied de la station de Cauterets, à quelques encablures de Lourdes et des hordes de mollets glabres qui attendent l’arrivée du Tour à Hautacam en cette jolie journée de fête nationale hexagonale.

Après avoir fanfaronné dans les œufs qui le montent aux choses sérieuses, ayant revêtu casque intégral, coudières, genouillères et plastron de rugby pour compléter le tableau, l’énergumène n’a pas l’air à l’aise et regrette son cuissard en lycra et son maillot thermique. Car plus d’excuses pour affronter la petite dizaine de modules en bois, tout fraîchement installés !

Certes l’ensemble ne paraît pas très aérien. Quelques passerelles sont à ras du sol et facilement empruntable par n’importe quel gamin, mais les deux structures externes haussent la taille moyenne de façon radicale et imposent le respect depuis leurs 2 bons mètres.

Les modules les plus simples sont vite testés. Petite marche en bout de catway, façon descente de trottoir, arc de cercle saillant de deux mètres, bascule ras-du-sol… Rien de terrifiant, même pour un crosseux, et l’échauffement de rigueur est vite achevé. D’ailleurs le rare public, en mode pique-nique, semble rester sur sa faim. Restent ces deux modules, là, sur la gauche en descendant. Pas moyen de passer outre et de faire comme si ils n’étaient pas là : tout le monde ne voit qu’eux. A priori, ça n’a pas l’air trop compliqué pour le moins haut. Une plante de montée, un replat étroit, une marche de quelques centimètres, une planche de descente. Le second est conçu sur le même principe avec une marche bien plus haute : on l’oubliera pour cette fois ! Ce premier module est tentant mais intimidant. Mentaliser l’escalade de la rampe, se persuader que c’est tout droit et laisser tomber le vélo tout en retardant la chute de la roue avant par un léger transfert de poids vers l’arrière. Simple en théorie mais il est l’heure de la pratique et des frissons tant recherchés. Après moults hésitations et appréhensions, notre rider se positionne dans l’axe, pédale vers le module, glisse en roue libre et escalade dans l’élan la rampe montante. Pas le temps de cogiter mais s’évertuer à rester en ligne car voici le bout du replat. Mais où est la sortie ? L’angle ne permet pas de visualiser la planche de descente et le tirage de cintre se fait dans l’angoisse d’un jeté dans le vide. Contact des roues avec la planche, bien tangente à la trajectoire, fin de l’apnée et de l’agitation cardiaque : l’obstacle est passé en douceur et le sol rejoint sans heurt. Un second et un troisième passage sont enchaînés sans peine et sans tremblement ; preuve que l’appréhension est la principale difficulté de l’exercice …

Mais vite au télésiège : les pistes de descente nous appellent ! La transformation en free-rider n’en est qu’à son début …

Rouge, Noir, Bleue ? Par quelle trace commencer ? Depuis le télésiège, cela avait l’air ludique et facile, ces petits chemins en dessous. On remarque bien au lointain quelques passages aménagés de planches mais tout cela n’a pas l’air bien sorcier … Confiance liée aux modules aidant, en selle vers la piste rouge qui s’attaque par un passage sur névé. Les virages en appui s’enchaînent sur un terrain accrocheur et franc, le single est raide et cassant mais le Yeti est réglé pour ce genre de plaisir. Sa géométrie joueuse permet même au piètre pilote de se sentir à l’aise et d’enchaîner les courbes et les cassures sans la moindre inquiétude. La trace sinue ou plonge, générant des accélérations grisantes. Mais plaisir de la glisse écourté par la vision pas si lointaine, de l’autre côté d’une combe dont le chemin fait le tour, de quelques planches formant un tremplin au-dessus d’une pente herbeuse. Nouvelle appréhension. Le temps de cogiter et voici les planches, juste sous la roue. Freinage en urgence, arrêt à 10 cm de l’appel et cri du cœur : « c’est haut ! ». Il doit y avoir à peine 70 cm avec atterrissage en pente, sur un terrain herbeux et légèrement en devers. A peine 10% de la hauteur gaps que nos pilotes d’élite affrontent sans broncher dans les magazines. « Allez, c’est le jour ou jamais ». Le pilote prend son élan et … refreine … peur ridicule, mais paralysante. Quoi viser ? Quoi regarder lors de l’envol ? Sous l’humain, le Yeti trépigne : suspensions surdimensionnées, pneus larges, cadre court et selle baissée : on est bien loin des cadres rigides et longs, des pneus à demi crantés, des potence à plongeur et des fourches droites qui ont vu l’émergence des premiers jumps à vélo. Et à force de se raisonner sur la qualité du matos, le bonhomme arrive à se convaincre qu’il est lui-même apte ! La troisième tentative est la bonne : fesse en arrière au décollage, atterrissage en douceur 5 m plus loin selon le pilote – 1,5 m selon les observateurs (et la police) – hurlement de joie du néo-freejumper : il l’a fait ! Quelques coups de pédales plus loin, pour le second tremplin, équivalent en taille, même scénario pour un premier refus et une réussite, puis sourire jusqu’au bas de cette descente initiatrice.

Passons sur le bout de piste noire et sur l’obstacle – infranchissable à l’échelle de notre héros du jour – qu’elle offre. L’histoire retiendra que la piste rouge sera parcourue deux fois, avec moins d’hésitation sur les sauts à chaque passage. Sans plus de refus. Enchaînée avec les magnifiques, et très techniques, descentes des boucles VTT du « Pays de Cauterets » la piste permettra de dévaler deux fois 1500 m de pente sans pédaler plus de 10 minutes à qui le souhaite.

Et ainsi d’accumuler les mètres de négatif et les gestes de pilotage, en répétant les remontées par voie mécaniques, sans se soucier des aspects physiques liés aux ascensions.

Vous comprendrez aisément que notre crosseux n’est pas devenu en une journée un descendeur émérite. Il est encore très loin d’affronter les ruptures de pente sans se soucier des lois newtoniennes, fort loin de pouvoir corriger l’assiette de son engin lors de ses vols centimétriques et à mille miles d’affronter les off-shores géants de la Colombie Britannique. Mais en l’espace d’une journée, un pilote malhabile a su vaincre quelques unes de ses pires appréhensions VTTesques, a tutoyé une première approximation du vide, a dégrossi son pilotage et progressé en confiance et en maîtrise. Et ne serait-ce qu’à ce titre, dans la perspective des futures belles descentes que de longues heures de montée lui auront permis d’affronter, notre biker pourra dire de cette journée qu’elle fut une sacrée réussite