Voyage au pays du freeski

L’autre jour, à La Clusaz, j’ai essayé de mettre un pied de quadragénaire dans une communauté de jeunes: les freeskieurs. Le concept a le mérite d’être clair: free, pour libre, skieur, pour skieur. L’alpha et l’oméga du jeune en pleine mutation hormonale. Courageusement, je décidais de les approcher comme un éthologue observerait un puma, c’est-à-dire curieux, amical, mais un peu flippé quand même. Déjà, il faut savoir dire bonjour comme il faut. Si tu arrives en tendant la main, tu te prends un vent. Non, il faut taper paume contre paurne d’un geste ample (mais décontracté, sinon il repère vite que t’es pas à l’aise) et revenir heurter le poing adverse, en faisant gaffe de ne pas rater la cible.

Ensuite, il faut savoir reconnaitre ses amis malgré le masque, le casque et la taille XXL du pantalon qui interdit toute mesure du réel gabarit du bonhomme. En clair, tu te repères aux marques. Kévin est chez Woaklet, Max, chez Kick Golder et Lucas, chez Palombia. Enfin, il faut éviter de dire c’est chouette. Au mieux, ça déchire, au pire, c’est une tuerie. Mon conseil: parle assez vite de Candide Thovex. Ce garçon est le plus connu de la comrnunauté, c’est une véritable star, et le jeune appréciera que le quadra connaisse son idole. Évite de dire double cockring à la place de double cork, je t’assure que ce n’est pas la même chose.
Le jeune freeskieur aimera t’initier aux modules du snowpark. Ne l’écoute pas. Lui, saura passer le rail en faisant trois tours sur lui-même, toi tu te vautreras comme un hippopotame sur la barre de fer dès le premier centimètre et tu te relèveras un peu vexé de n’avoir même pas pu aller au bout du machin. Inutile de leur rappeler que le hors-piste existait avant eux et que, tout gamin, tu as aussi sauté des bosses: ils le savent. Mais eux en ont fait un mode de vie et ont inventé des choses que tu n’imaginais même pas. Évite de monter avec Candide Thovex sur le télésiège de Balme. Il va te raconter où il a ridé samedi dernier, là-bas en face, et tu seras encore occupé à chercher un hypothétique passage sur la falaise improbable quand le télésiège aura déjà fait le tour de la poulie avec toi dessus. Le jeune freeskieur est toujours entouré de bombes sexuelles. N’imagine pas une seconde que ta barbe de trois jours, tes rides dans le coin de l’oeil ou ton statut de type de la télé peuvent les interesser, elles ne te capteront même pas. Le jeune freeskieur ne te traitera jamais de blaireau car il te respecte, toi qui incarnes, au mieux, son père, au pire, son grand-père.

Ce respect te rappelle que l’inverse n’est pas vrai, que tu as parfois pensé qu’ils n’avaient rien dans la tête, à part leur musique de sauvages. Mais après trois jours partagés avec eux, tu dois bien admettre que ce sont des mecs sympas, de vrais pros qui savent ce qu’ils font, et qu’ils ont été contents de te faire partager leur passion, leur philosophie, leurs délires… en toute simplicité.

Laurent Guillaume
Alpes Magazine N°140
Avril-Mai 2013

Chroniques d’En Haut