Ego, perfo, chrono …

Avant de fréquenter assidûment les traces de ski de rando et les sentiers de VTT, je pensais naïvement que ces espaces préservés étaient peuplés d’hédonistes, adeptes d’efforts physiques, certes, mais surtout de détente, de plaisir et d’épanouissement personnel. Après quelques années de « crapahutage » d’abord estival, puis plus récemment hivernal, je suis bien forcé de constater que c’est de moins en moins le genre de personnes qu’on y rencontre.

La gent dominante qui prospère dans ces coins de montagne ou de nature, souvent magnifiques, n’a pratiquement (plus) rien à voir avec l’idée que je pouvais m’en faire. La plupart des randonneurs (je ne suis pas sûr que ce soit un terme bien choisi) que je croise, n’a souvent aujourd’hui, comme unique préoccupation, que le chrono, le tempo, la perfo, le dénivelé et la moyenne horaire. J’avoue que cette évolution me fascine autant qu’elle me désole.
Qu’est-ce qui peut pousser des gens de plus en plus stressés par leurs activités quotidiennes à emmener avec eux dans leurs loisirs, des exigences de compétitivité que notre société tend en permanence à leurs imposer ?

Je conçois aisément que les sportifs professionnels privilégient la constante amélioration de leurs performances en mettant à profit tous les moyens (même parfois illicites) qui permettent d’y contribuer. Leur palmarès et les revenus qui y sont associés en dépendent. Par contre j’ai plus de mal à comprendre quelles motivations poussent les sportifs amateurs dans cette quête de compétitivité quasi institutionnelle. Que recherchent tous ces cyclistes ou alpiniskieurs du dimanche sinon d’essayer d’aller plus vite que leurs collègues-concurrents. Les adeptes de loisirs-compétitivité admettent rarement leur addiction au chrono ou leur soif de reconnaissance. Ils prétendent défendre des valeurs moins quantifiables et plus nobles, tel que le défi personnel, le dépassement de soi, et parfois aussi, le partage de l’effort. Soit, moi je veux bien, mais que reste-t-il du défi personnel, parfaitement compréhensif, une fois le GRC (Grand Raid Cristalp), la PDG (Patrouille des Glaciers) ou autres courses mythiques réussies ? Si le moteur de leur quête se trouvait là, bien peu de participants « médaillés » choisiraient de s’y réinscrire. En outre, comment évoquer constamment le dépassement de soi face à l’inévitable baisse des performances physiques liée aux années qui passent ? Une fois la trentaine atteinte, le sportif lambda n’à que peu de chances de pouvoir continuer à se dépasser lui-même. Mais peut-être que le dépassement de concurrents plus âgés ou moins aguerris continue d’en motiver certains ? Et finalement, pourquoi vouloir à tout prix associer le partage de l’effort avec la compétition, alors que n’importe quelle rando non-solitaire le permet dans des conditions bien plus conviviales et gratifiantes.

Alors quoi ? Qu’est-ce qui poussent tous ces sportifs du dimanche à vouloir comparer leurs (piètres) performances à celles de leurs homologues ?

La nature humaine ?
Elle doit y contribuer, car une des caractéristiques commune à beaucoup d’êtres humains est d’apprécier la flatterie et la lumière des projecteurs. N’importe quelle performance sportive, même futile, en offre l’opportunité. Les compétitions amateurs sont nombreuses et le niveau de leurs participants parfois suffisamment disparates pour pouvoir s’y faire une place dans la lumière d’une petite renommée locale, à même de flatter l’égo.

Le mode de fonctionnement de notre société occidentale ? Probablement aussi.
Elevée depuis toujours au rang de valeur centrale, la compétition débute dès l’accès à l’école. Les différents systèmes de notations sont rapidement assimilés par la plupart des enfants comme un moyen de comparer leurs performances scolaires à celles de leurs copains. L’arrivée dans le monde adulte ne modifie rien de fondamental à ce système de valeurs. La compétitivité au sein du monde professionnel est, elle-aussi, prônée comme indispensable au « bon » fonctionnement de notre société capitaliste et consumériste.

Dans le monde d’aujourd’hui, la compétition est devenue quasi « systémique ».

De là à la considérer comme nécessaire à notre existence, il n’y a qu’un pas que beaucoup de sportifs amateurs franchissent allègrement en l’intégrant dans leurs loisirs et en oubliant qu’ils pourraient aussi y cultiver d’autres valeurs, comme la découverte, la curiosité, la contemplation, l’émotion, le plaisir de l’effort physique désintéressé, la camaraderie et la convivialité.

Quand on évoque le chemin du bonheur, trop de gens pensent que ce bonheur tant désiré se trouve au bout du chemin et que tous les moyens pour y parvenir au plus vite sont justifiés. Ils oublient simplement que le seul et vrai bonheur, c’est le chemin lui-même…