SKI m’a fait mal

Voici une tranche de ma vie qui fait partie des moins drôles rencontrées jusqu’alors. Mercredi dernier, tandis que les pentes de la station de ski de Valloire étaient fraîchement recouvertes de 30 à 40 cm de neige poudreuse que j’aime tant, le destin m’a joué un mauvais tour.

Je menais avec François le groupe des meilleurs skieurs du CAF de Strasbourg désireux de perfectionner leur technique de ski hors piste, me laissant attirer par toutes ces pentes vierges de toute trace comme on n’en voit qu’au cinéma, mon enthousiasme égalant ma forme physique..


Les virages se succédaient dans un rythme soutenu mais bien contrôlé, le vent sifflait agréablement dans le casque et les skis enchaînaient les courbes qui s’élargissaient pour prendre plus de vitesse et donc plus de plaisir. Le froid du mois de janvier était accompagné de nombreux cumulus qui, s’ils laissent une bonne visibilité, masquent la perception du relief des sols enneigés (c’est ce que l’on appelle le jours blanc). Bref, c’était le grand bonheur, jusqu’au déséquilibre suivi d’un choc très violent que j’ai eu du mal à comprendre dans un premier temps.

Dans la douleur, je compris que ma trajectoire avait croisé une piste de ski, et qu’il y avait un petit mur d’un peu moins d’un mètre créé par les dameuses entre la piste et la pente skiée plus haut. J’étais arrivé en haut de ce mur en fin de virage, et à vitesse soutenue, pour aller m’écraser sur la neige damée (et bien dure) de la piste tel un moustique sur un pare-brise de voiture.

Me voici étendu sur la piste. Mon souffle est coupé, la tête et le buste ayant heurté le sol très violemment mais surpassant toutes mes sensations, j’ai une douleur dans le dos jusque là inégalée. Malgré une respiration presque impossible et cette souffrance dorsale, mon esprit reste calme mais envisage le pire. J’essaie alors de bouger mes orteils… ouf… ils bougent ainsi que mes cuisses que je contracte et relâche à volonté. La douleur est cependant toujours aussi soutenue et lorsque François (qui skiait quelques mètres derrière moi) s’informe sur mon état, je lui fais vite comprendre qu’un secours allait devoir s’organiser. Quelqu’un part alors prévenir les secours qui arrivent sur place très rapidement. Le diagnostic a l’air de les inquiéter, ils regrettent que le temps ne soit pas meilleur pour faire venir un hélicoptère. D’autres secouristes arrivent, avec traîneau, matelas coquille et tout le tintouin. Me voici translaté dans le traîneau d’une manière à me faire réviser mes cours de secourisme. Le matelas coquille est gonflé (enfin dégonflé d’après ce que l’on m’a expliqué) et il m’est impossible de bouger d’un millimètre de la tête jusqu’aux genoux. Le traineau (appelé aussi barquette dans le jargon skieur) est accroché à une motoneige pour rejoindre un col duquel on pourra me descendre jusqu’à une télécabine. Le supplice est à la hauteur de ma blessure. Je dois avoir la tête à quelques centimètres de la sortie des gaz d’échappement, les secousses sont terribles et une énorme quantité de neige m’est projetée sur le visage. Une nausée est très rapidement associée à l’odeur abominable du mélange essence-huile de l’engin, et ne pouvant pas tourner la tête d’un cheveu, je m’inquiète au plus haut point du devenir de mon petit-déjeuner recraché. Mon imagination me noyant dans mon vomi, le col est atteint et grand merci, le traîneau est détaché de cet engin de torture pour être mis dans les mains de deux pisteurs-secouritstes dont le professionnalisme m’amena jusqu’à la télécabine dans un confort inespéré.

La télécabine m’emporte alors loin des pistes que j’ai peur de ne pas revoir avant longtemps. Je suis à l’écoute de mon corps. Quel élément meurtri peut-il être si douloureux ? Je pense dans un premier temps à une déchirure musculaire de mes lombaires qui auraient vaillamment essayé de résister à la chute, puis à mes reins qui auraient pu ne pas supporter un tel choc, voir le foie ou la rate. Les quatre minutes de descente en télécabine s’achèvent et le transfert dans l’ambulance détourne mes pensées. Je découvre l’univers intérieur de ce véhicule jusque là observé du bord de la route d’un oeil compatissant. Mon regard passe des lumières aux placards, des placards au décolleté de l’ambulancière quant une secousse latérale de l’ambulance fait frémir le blanc des blouses. Un camion nous a croisé de près, froissant tôle, plastics et rétroviseurs sans qu’il prenne la peine de s’arrêter. Du coup, arrivé au cabinet médicale de Valloire, ma place de principale préoccupation des médecins, ambulanciers et infirmiers m’a été momentanément spoliée. Cette agitation passée, les gestes des médecins sont aussi classiques pour eux que la situation est nouvelle pour moi. Après avoir écarté boucles, bretelles, ARVA, téléphone portable, porte-monnaie, protection dorsale (ça en porte des choses un skieur…), le matelas coquille (qu’il faut sans-cesse regonfler car il est percé) est posé directement sur la table de radio. De face d’abord, puis de profil dont la position sur la tranche au bord de la table est une sensation digne des meilleures attractions de nos parcs de loisir. Pendant que le juri délibère en regardant les radios, on me perfuse avec des antalgiques, une solution nourrissante et, je l’ai appris plus tard, un calmant. Le verdict m’est annoncé aux côté de Sophie et François venus me soutenir : fracture-tassement de la vertèbre L1 (en haut de la cambrure du dos). Cela me fait froid dans le dos (en plus d’avoir toujours aussi mal), je me dis que je suis passé près de blessures beaucoup plus graves. Merci casque et protection dorsale ! Le médecin, très rassurant mais quand même inquiet de mon ventre qui reste très dur (il m’est impossible de relâcher les abdominaux) décide de m’envoyer à l’hôpital de Saint Jean de Maurienne.

Je remonte dans l’ambulance cabossée et dans un matelas coquille sans aucun trou pour quarante cinq minutes de route. L’hôpital est des plus banal avec son service d’urgences, son attente interminable et son odeur d’antiseptiques. Je rejoins une chambre et un lit, avec un autre éclopé du ski comme compagnon de misère. Sophie, Tristan et François me rendent visite, il n’en est pas de même des médecins que je vois si rarement que j’ai le temps d’oublier mes questions avant de les poser. Le lendemain matin, un kiné me montre comment me lever et me coucher en faisant balancier avec une jambe pour ne pas tirer sur le dos. Je fais quelques pas, découvrant enfin autre chose que les plafonds du bâtiment, ainsi qu’une toilette de chat philosophant que finalement, la sensation de bonheur tient à des choses très simple. On m’annonce froidement le lendemain, alors que mon optimisme habituel me revoyait sur les skis avant la fin de l’hiver, qu’il m’était absolument interdit de m’asseoir pendant six semaines, que je devais m’abstenir de sport pendant au moins trois mois et que je devrai rentrer à Strasbourg couché dans une ambulance…. Ces mots raisonnent dans ma tête comme un coup de marteau. Que vais-je faire à la maison couché ou debout pendant tout ce temps ? Lire, regarder des DVD, quelques promenades dans la vieille ville de Strasbourg, le temps va être long.

Comme annoncé, une ambulance vient me chercher le samedi vers neuf heures. Les deux ambulanciers sont sympas, je leur dis en plaisantant de faire attention car ma première ambulance avait eu un petit accident. Quelques temps plus tard, la guigne frappa à nouveau avec l’alternateur de l’ambulance qui nous laissa en carafe près de Lausanne ! Une dépanneuse nous amène à un garage Renault du coin. La réparation ne se fera que le lundi suivant, une nouvelle ambulance est contactée, elle arrivera quatre heures plus tard en venant du Grand Bornant au-dessus d’Annecy. Le destin joue parfois des tours, celui-ci m’a permis de rencontrer des Suisses particulièrement sympathiques. Toute la famille du garagiste était réunie pour casser des quantités astronomiques de noix récemment récoltées afin de faire de l’huile. La convivialité et la bonne humeur étaient de la partie, les bouteilles de blanc (si sec selon eux qu’il faut se retourner toute les demi-heures la nuit pour ne pas avoir de trous dans l’estomac) se succédaient ainsi que bière, thé, café, chocolats suisses et blagues parfois douteuses. Mes petites aventures les ont bien amusés et c’est presque à regret que je les ai quittés pour monter dans une nouvelle ambulance (pourvu qu’elle tienne jusqu’à Strasbourg). Ouf, me voici arrivé à plus de dix heures du soir. Mes voisins Stéphane et Chloé m’attendent avec un repas à réchauffer ainsi que des victuailles pour tenir le lendemain (dimanche) en repas chaleureux. Sophie et Tristan sont arrivés quelques minutes plus tôt ainsi que Damien et Géraud que je croise en sortant de l’ambulance.

Dimanche sera une journée d’apprentissage. Je dois apprendre à organiser mon quotidien sans m’asseoir. Pas facile. Je mange sur une table haute dans la cuisine adossé contre le mur, j’ai bien mis toutes les télécommandes son et images à proximité du canapé, j’ai réussi à aménager un coin informatique avec connexion internet et Sophie veille bravement à ce que tout se passe bien.

La solidarité se met en place, j’ai bientôt toute une collection de DVD, des livres et bandes dessinées, une console de jeux vidéos, je viens de commander sur le net un home cinéma qui devrait m’être livré dans trois jours. Je suis prêt à m’engraisser pendant les six prochaines semaines. La bibliothèque de Strasbourg est à quelques minutes à pied de chez moi avec une profusion de CD, livres, CD-Rom, ainsi que le musé d’art moderne et un vidéo-club bien fourni. Je vais devenir super cultivé ! N’hésitez pas à me conseiller des ouvrages qui vous ont plus.

Alexandre Trajan http://ccaa.agat.net/